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La Tête dans les Étoiles

Le jour où j'ai rallumé mon cerveau

"Le cerveau n’est pas un verre à remplir. Mais une lumière à allumer."

- Plutarque

À 4 ans, lorsque j’ai repris vie après m’être effondrée devant ma mère au beau milieu du parc Bertrand, j’ai essayé de toutes mes forces de rallumer mon cerveau : j’essayais de parler mais les mots ne voulaient plus se former dans ma tête, seulement des cris arrivaient à s’échapper de ma bouche ; j’essayais de bouger, mais je restais figée, coincée dans un lieu étrange et inconnu. J’étais complètement déboussolée; déroutée… Qu’est-ce qui m’arrivait ? Que faisais-je là ?

 

Lorsqu’un tel évènement se produit, notre cerveau va devoir s’adapter aux nouvelles conditions que lui impose la vie, il va devoir comprendre ce qui se passe autour de lui et ce qui se passe à l’intérieur de notre corps. Il va faire tout son possible pour nous préserver afin de vivre au mieux ce bouleversement.

 

Notre cerveau est le premier à être touché par ce changement si particulier de la vie; et donc le premier a devoir s'y adapter. En effet, il est notre lien avec le monde extérieur : grâce à lui, nous percevons notre environnement et pouvons interagir avec ce qui nous entoure. C’est le chef d’orchestre de notre organisme, le centre de commande de nos mouvements, de nos pensées, de notre langage, de nos émotions... en bref, notre cerveau nous sert à tout faire! Il fonctionne grâce à des centaine de milliards de cellules qui se distinguent par leur forme extrêmement atypique : des sortes d’étoiles que l’on appelle neurones.(1)

 

Grâce à cette forme unique, les neurones ont une particularité exceptionnelle qui leur est propre: ils peuvent s’attacher les uns aux autres par leurs nombreuses ramifications ce qui donne naissance à un gigantesque réseaux neuronal. Ce réseau permet le passage de l'information de neurone en neurone. Ces informations proviennent de nos 5 sens (la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher), de nos mouvements ou encore de l'intérieur de notre corps. Nos neurones ne cessent de recevoir, d'analyser et de relayer des informations circulant en permanence dans ces innombrables réseaux qui constituent l'intérieur de notre cerveau. Ces informations voyagent plus vite que la lumière. En effet, cela est possible car les informations circulent sous forme de messages électriques, appelés influx nerveux. C'est pourquoi on peut parler de "faire briller" notre cerveau lorsqu'on le stimule.(2)

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Tels des pieuvres se tenant "la main" par leurs tentacules, les neurones forment ainsi un gigantesque réseau à l'intérieur de notre cerveau. En rouge, l'influx nerveux qui parcourt les nombreux "bras" des neurones.(3)

Mon accident vasculaire cérébral (AVC) a causé de très lourdes séquelles : un ensemble de neurones au centre de mon cerveau ne se rallumeront plus jamais... une certaine zone de mon cerveau ne fonctionnerait plus, mais heureusement tout le reste scintillaient de milles feux.

Dans cette chambre de la pédiatrie, couché à côté de ma mère, j'ai sûrement dû paniquer, être horrifiée dans ce corps qui ne répondait plus à mes envies, à ma volonté; j'ai sûrement dû avoir la plus grande crise d'angoisse de toute ma vie... mais je pense que déjà à ce moment-là précis, je savais au plus profond de moi que j'allais tout faire pour récupérer le plus possible de mes capacités. J'irai de l'avant, j'essayerai de surmonter cela... je le ferai!

Ré-apprendre à parler, à me lever, à tenir debout, à marcher.... Quel que soit le processus d’apprentissage, le cerveau doit utiliser ses connaissances et en acquérir de nouvelles. Ce sera donc le premier qui devra s’adapter à un tel accident, quelle qu’il soit. Pour ce faire, il va devoir créer et développer de nouveaux circuits neuronaux, c’est-à-dire fabriquer des connexions entre ses neurones.(4)

Pendant plus de 20 ans, les médecins m'ont assuré que mon accident cérébral était dû à un caillot de sang qui était monté dans mon cerveau cerveau et qui avait élu domicile dans l'une de mes artères au niveau de mon hémisphère cérébral gauche, juste à côté de la zone du cerveau qui commande toutes nos fonctions vitales (respiratoire, cardiovasculaire, digestif...). Cette artère avait alors été bouchée par ce caillot de sang ce qui avait causé la perte d'une sacré masse de neurones tout autour de ladite artère: environ 200 à 400 millions de neurones par minute, paraît-il. Autrement dit, des milliards de neurones ont disparu dans mon accident vasculaire. Il a été question de m'opérer pour essayer de déboucher l'artère en question mais les chirurgiens ont averti mes parents de la complexité de l'intervention : il suffisait d'un petit rien pour toucher et affecter des neurones qui faisaient fonctionner mes signes vitaux; ainsi cette opération aurait causer plus de dégâts qu'autres choses, voir ma mort. C'était donc clair, on ne toucherait pas à mon artère! Il y a quelques mois, j'ai refait un ixième IRM pour valider ou réfuter cette hypothèse qui paraissait peut claire et très brouillon à ma nouvelle neurologue. Elle a eu raison de suivre son instinct: mon AVC a en faite été causé par la chute que j'ai faite dans des escaliers, 4 jours avant mon accident. L'IRM ne montre aucun caillot dans mon cerveau mais une dissection de cette fameuse artère.

Après mon AVC, il y a eu un sacré boulot à faire : Toute ma motricité volontaire était à reconstruire ainsi que la parole et l'écriture. Des milliards de neurones ont du être mobilisés pour remplacer ceux disparu au combat. Notre cerveau est capable de cette prouesse d’auto-réparation grâce à un mécanisme appelé la plasticité cérébrale ou plasticité neuronale : c'est-à-dire qu'il va remplacer les circuits lésés et créer des déviations au niveau des connections entre les neurones sains. Mon AVC a détruit tout un tas de circuits neuronaux qui me permettaient de marcher, de parler, de me servir de mes mains, de me tenir debout en équilibre... mais grâce à la plasticité, d'autres circuits se sont formés pour remplacer les anciens circuits détruits. Ceci ne veut pas dire que des neurones ont été crées ou étaient mis en attente dans mon cerveau au cas où. Cela signifie que certains neurones déjà connectés à des circuits actifs ont soit pris une "charge de travail supplémentaire" soit ont cessé de travailler dans un réseau de neurones pour se consacrer à une nouvelle tâche.(4)

En effet, le cerveau se développe et s'adapte tout au long de notre vie. C'est le principe de l'apprentissage. Lorsque le cerveau est stimulé, il crée de nouvelles connections entre ses neurones. De plus, nous perdons des neurones tous les jours, mais notre cerveau en produit en remplacement et développe en permanence des nouvelles connections pendant que d’autres disparaissent. "Le cerveau est malléable et cette malléabilité lui permet de se reconfigurer sans cesse pour un meilleur apprentissage et une meilleure mémoire"(5).

À la naissance, l’enfant a un stock donné de neurones. Par contre, les connections ne sont pas encore établies, mis à part pour ces fonctions vitales bien évidemment. Le nourrisson peut donc respirer, a le réflexe de succion et peut digérer. Mais pour le reste, il devra apprendre et donc faire par lui-même les connections entre ses neurones. L'organisation entre les neurones n'est donc pas programmé à la naissance, chacun devra construire et constituer ses propres réseaux : les neurones vont se faire pousser des ramifications pour aller se connecter à leurs petits compagnons. Chaque jour, des dizaines de milliers de connexions vont s’établir. Ainsi, l'enfant va se servir de ses sens, il va faire des mouvements et il va interagir avec des personnes et son environnement... plus il sera stimulé, plus des connections auront la possibilité de se créer. L'enfant va se faire son propre réseau neuronal par tâtonnement. Cela nécessite de construire un mini réseau de neurones pour chaque essaie qui se perfectionnera avec le temps et deviendra un réseau de plus en plus grand et de plus en plus "solide". Ainsi, l'enfance est une période extrêmement intense en matière d'apprentissage. Comprendre le monde qui nous entoure, apprendre à écrire, lire, bouger, apprendre à marcher, à se servir de ces mains... ce n'est pas une mince affaire. Des dizaine de milliers de circuits neuronaux vont se fabriquer, s'étendre, régresser, s'associer ou disparaitre. De plus, les circuits neuronaux ne sont pas encore bien isolés. Comme expliqué plus haut, l'information est véhiculée de neurone en neurone par un courant électrique. Ainsi, les ramifications des neurones ont une gaine pour se protéger des court-circuits et pour que l'information circule à vitesse grand V. Le petit enfant n'a pas encore isolé son cerveau au complet, c'est pourquoi il fonctionne moins vite qu'un cerveau adulte. Il faudra attendre l'âge de 4 ans environ pour que le cerveau fonctionne bien. L'âge de mon accident... yeah!(4)

Cela a dû faire un choc épouvantable à mon cerveau. Alors qu'il avait finit son boulot d'apprentissage du commencement de ma vie, bam... retour à la case départ. Je devais ainsi recommencer à tâtonner, à oublier les informations inutiles et à répéter pour parvenir à tout mémoriser. Et cerise sur le gâteau : je devais repartir de zéro car, étant née droitière, j'ai du tout réapprendre du côté gauche. Parfois, on me dit que cela a du être plus facile pour moi vu que j'ai eu mon AVC enfant, la période du développement de notre cerveau. C'est faux! À l'âge adulte, notre mémoire continue de progresser, même après nos études. Nos neurones se réorganisent sur la base de notre apprentissage que nous avons construit étant enfant. Ainsi, un adulte a plus de faciliter à apprendre et à mémoriser qu'un enfant: l'adulte a une base existante alors que l'enfant par du néant. Chaque fois que le cerveau d'un adulte apprend, ses réseaux neuronaux se modifient, leurs connections se renforcent, assurant l’élaboration et la mémorisation de ses connaissances.(6)

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Sur l'image de gauche, un réseau de neurones d'un petit enfant en train de se former. Sur l'image de droite, un  réseau neuronal très complexe, formé d’innombrables ramifications et connections entre les neurones d'un adulte.

J'avais certes une petite base de réseaux neuronaux restés intact après l'accident que je pouvais utiliser pour échafauder l'apprentissage de ma nouvelle vie et consolider mes connaissances. Mais une plus grosse difficulté m'attendait : la zone de mon cerveau qui avait été touché se trouve à gauche dans mon cerveau. Cela me compliquait sacrément mon réapprentissage car le cerveau humain n'est pas conçu en un seul morceau mais en deux parties bien distincts qui ont chacune leurs propres spécialités.

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Les 2 hémisphères cérébraux et leurs spécificités: l'hémisphère gauche est celui de la raison tandis que l'hémisphère droit est celui de l'artiste. 

Ainsi, le cerveau est constitué d'un hémisphère droite et d'un hémisphère gauche. Les deux hémisphères s’échangent de l’information et s’entraide en permanence mais ces 2 parties ne sont pas symétriques. De plus, l'hémisphère gauche commande toute la partie droite du corps tandis que l'hémisphère droit commande toute la partie gauche du corps. Les neurones que j'avais perdu était chargé de la parole, des mouvements et du contrôle des muscles de tout le côté droit de mon corps.(7)

Les deux hémisphères se complètent mais ils fonctionnent parfois chacun de leur côté pour traiter certaines informations bien précises :

  • L’hémisphère gauche est plutôt analytique et logique : il traite les chiffres, les calculs; tout ce qui est mathématique. Il s'occupe aussi de notre façon de parler, de la communication et de la compréhension verbale et écrite.(8)

 

  • L’hémisphère droit est celui de l'artiste. Il est responsable de la création artistique et des aptitudes spatio-visuelles. Cet hémisphère traite les émotions et l'intuition. Il pourra alors mieux comprendre les expressions communes, les métaphores ou les sous-entendus.(8)

Pour certaines tâches, les deux hémisphères doivent œuvrer ensemble car ils contiennent chacun des propriétés de l'autre. Ainsi, ils se complètent.(7)

Grâce à cette complémentarité et à la plasticité neuronale, j'ai pu refaire mon apprentissage du langage, de la compréhension orale et écrite et j'ai appris à écrire de la main gauche et à actionner mes muscles du côté droit de mon corps. Bien sûr, j'ai encore de nombreuses séquelles et je ne peux absolument pas commander mes muscles moteurs droits qui actionnent la partie fine de mes mouvements : par exemple, je ne peux pas ouvrir ma main droite (seule) et bouger indépendamment mes doigts, je ne peux non plus pas bouger mes orteils, je boîte et je ne peux pas marcher longtemps car cela me cause des douleurs à la hanche et au bassin ce qui me fatigue. Si je marche trop, je finis par trébucher et tomber. J'ai de plus une fatigue chronique très importante ce qui cause une perte d'attention et de concentration assez rapidement. Mon écriture est encore difficile et je fais beaucoup de fautes d'orthographes: mes articles en témoigne peut-être. Je n'ai pas voulu me faire corriger pour vous montrer ma vraie personne. Mon site c'est moi! J'édite mes articles au fur et à mesure, je ne peux pas promettre 2-3 articles par mois. Parfois, j'en sortirai un par mois et d'autres mois, j'en écrirai peut-être 2 car je me sentirai mieux et moins fatiguée.

Bien sûr, cela ne c'est pas fait en quelques mois. Il m'a fallu plusieurs années pour récupérer tout ce que j'ai acquis aujourd'hui. Pour le langage, la zone de la parole se trouve dans l'hémisphère gauche, là où mes neurones ont péri. Il m'a fallu apprendre à parler avec mon hémisphère droit. En effet, "dans certains cas de lésion de l’hémisphère gauche des enfants ont pu apprendre à  parler, en utilisant les aires symétriques du langage de l’hémisphère droit".(9) Je suis donc un exemple de plasticité neuronale : J'ai fait poussé des ramifications à mes neurones sains et saufs, qui n'ont pas péri dans l'accident, et j'ai crée de nouvelles connections et de nouveaux circuits afin de pouvoir parler avec mon hémisphère droit. Mais il paraît que la parole produite par l'hémisphère droit n’est jamais comparable à celle produite par l’hémisphère gauche.(9) En ce qui concerne la marche et tout ce qui est des savoir-faire (courir, tenir un ustensile, dessiner, s’habiller, se retenir avant d’aller aux toilettes, monter un escalier, pédaler, utiliser des jouets...), j'ai dû apprendre de zéro pour devenir gauchère car j'étais droitière avant mon accident. Autre grande difficulté : la lecture! Pour le droitier, pas de problème. Il lit et écrit dans son sens d'ouverture, de gauche à droite. En revanche, pour le gaucher, c'est problématique car l’œil va être irrésistiblement attiré vers la gauche. Cela va rendre la lecture difficile, saccadée, avec parfois des problèmes de compréhension.(10) Ma cousine m'a raconté que, lorsque j'ai recommencé à écrire, non seulement j'écrivais de droite à gauche mais en plus, toute mes lettres étaient inversées.

 

J'ai eu des séances de physiothérapie et d'ergothérapie tous les jours pendant environ 10 ans. J'ai aussi dû voir une logopédiste pour réapprendre à parler et je vois toujours une physiothérapeute à l'heure actuel. En effet, plus le cerveau est stimulé, plus il se développera. Mes parents m'ont aussi énormément aidé: j'ai skié, nagé, fait du snowboard... tout cela m'a permis d'augmenter et de renforcer mes circuits neuronaux. Ma sœur Astrée(11) m'a aussi énormément aidée pour tout ce qui était oral et écrit et ce, tout au long de ma scolarité et de mes études universitaires : pour mes dissertations, mes rapports, mes présentations... Après mon accident, je parlais très difficilement, je trébuchais sur les mots, je mettais beaucoup de temps à composé une simple phrase... et ce qui avait le don d'exaspérer ma sœur: je racontais tout dans les moindres détails et je finissais toutes mes phrases par : et tout et tout! Elle m'a appris à synthétiser et à ne plus buter sur mes mots. Je m'en souviens encore maintenant. Petite, je ne comprenais pas pourquoi elle tenait absolument à me corriger mais maintenant je l'en suis infiniment reconnaissante. Grâce à elle, je parle actuellement fluidement et j'ai un parler qui, d'après ma neuropsychologue, est impressionnant. Je lui ai alors avoué que le mérite revenait à ma sœur; ma neuropsychologue a alors cru qu'elle était logopédiste. Certes, j'ai encore du mal à synthétiser mais j'y travaille.

Grâce à cet extraordinaire réapprentissage, j'ai acquis une aisance à modifier mes circuits neuronaux. Ainsi je fais de l'hypnose, de la méditation et de la sophrologie depuis presque toujours naturellement. Je vis aussi "le moment" car, avec mon hémiplégie, je dois être attentive et réfléchir à mes moindres faits et gestes: lorsque je cuisine, par exemple, je dois penser à mes mouvements. Ou lorsque je monte ou descends un escaliers, lorsque je marche dans la rue, je dois penser à lever mon pied droit assez haut pour ne pas trébucher. J'ai donc de la difficulté à faire plusieurs choses en même temps (plus je suis fatiguée, plus je manque d'attention et de concentration et plus je dois me focaliser sur ce que je suis en train de faire). Ainsi, alors que la mode nous pousse à méditer, à vivre dans le moment présent et à décomposer les tâches du quotidien; moi je m’exerce à faire l'inverse.

Disclaimer :

Je ne suis ni médecin, ni neurologue: Le contenu de cet article est de la vulgarisation scientifique écrit par moi-même, avec l'aide d'articles cités en bas de page

par Célimène le 24 mars 2019

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